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Moliérisme

Le Molièrisme et le Monument de Molière (1897) par Jean-Antoine Injalbert, actuellement Square Molière à Pézenas

Réalisé en marbre de Carrare par le sculpteur biterrois Antonin Injalbert, le monument est édifié grâce à une souscription nationale.
Il est inauguré le 8 août 1897 en présence de la Comédie Française. Le socle, orné d’attributs de la comédie, porte le buste de Molière, inspiré de celui de Houdon.
La Lucette de Monsieur de Pourceau- gnac, représente la ville de Pézenas rendant hommage au grand auteur. Elle est le seul personnage de l’oeuvre de Molière à parler en occitan et à citer à plusieurs reprises le nom de Pézenas.
Le vieux satyre libidineux, adossé à la colonne est là pour nous rappeler les origines antiques de la comédie.
Injalbert avait prévu d’utiliser les portraits de mademoiselle Ludwig et de Coquelin cadet, sociétaires de la Comédie Française et généreux donateurs, pour camper ces deux personnages. Mais une rencontre à Pézenas avec le docteur Bastard, personnage haut en couleur, le fait changer d’avis. Les comédiens ont été immortalisés au dos du monument sous la forme de masques.
Texte de Claude Alberge
Monument de Molière par INJALBERT en 1897 – Pézenas
Texte de Claude Alberge

Statue de Molière Pézenas Injalbert

Le buste de Molière est entouré par une soubrette, figurée par la Lucette de Monsieur de Pourceaugnac, représentant la comédie, et un satyre représentant la satire ; sur la face arrière, masques des comédiens Coquelin cadet (1848-1909) et Jeanne Ludwig (1867-1898) de la Comédie-Française.

masques monument Molière Injalbert Pézenas

Il ne faut pas mettre le patron en colère !
Conversations entendues devant le monument à Molière selon Claude Alberge
Croyez vous qu’ elle va y arriver? me dit le satyre, riant dans sa barbe, en voyant la malheureuse Lucette se hausser sur ses pieds pour offrir un bouquet de fleurs à son dieu Molière.
le satyre du Monument Injalbert à Molière à Pézenas
Impassible, ce dernier regardait la ville, indifférent aux deux personnages qui l’encadrent : une Lucette au corps tendu dans un effort surhumain et un satyre confortablement installé sur son arrière train d’animal sauvage à pied fourchu.
-Ils ont fait à l’économie, repartit Lucette, en reprenant sa respiration. Pourquoi l’avoir mis si haut sur ce piédestal et pourquoi n’ a-t-il eu droit qu’à un buste ? On aurait pu le représenter debout ou assis à sa table de travail, une plume d’oie à la main, comme il aimait à poser. Il aurait été plus accessible…

 

Mais, il est vrai, c’était sans doute plus cher, poursuit une Lucette économe jusqu’à l’avarice, qui veillait à nourrir la nombreuse progéniture que lui aurait donné Monsieur de Pourceaugnac.
Janet et Françou ne sont pas à ses cotés, ils attendent son retour à la maison de la rue Canabasserie, car ils vont partir, loin, pour aller tourmenter ce lourdaud de Limoges, qui s’est entiché d’épouser une fille de bonne famille.

molière monument Injalbert Pézenas Lucette de dos

 

 

 

Chacun à sa place, pas vrai ! avait dit leur maman, qui voulait en faire de braves petits, comme l’on dit ici.

_-Et puis ici c’est petit ! Bien joli qu’on ait pu faire ce qu’on a fait en allant chercher les sous ailleurs. Comme çà, pour rien. Ici on l’ a mis dans un beau jardin plein d’arbres C’est pas comme à Paris où on l’a quillé sur une fontaine, rue Richelieu!
En disant ces mots, Lucette tente une nouvelle fois de se hisser avec effort sur la pointe des pieds. On entend ses souliers craquer. Elle a posé la main droite sur sa hanche, car on lui avait dit que c’était une posture académique. C’est Injalbert lui même, le sculpteur biterrois, qui, dans son atelier parisien, avait guidé son bras. Mais elle avait beau l’étirer -encore, encore, lui criait le maître-, peine perdue, ni l’éclat des couleurs ni le parfum des fleurs, ni sa respiration saccadée, ni la sueur qui ruisselait sur son visage n’attiraient le regard du grand homme, perdu dans ses rêveries de créateur.
-Je n’y arrive pas Qu’est ce qu’il est haut et grand !

 

 

monument Molière Injalbert Pézenas le Satyre

 

 

Le Satyre rit à nouveau dans sa barbe se moquant des efforts désespérés de la belle. Il faut dire qu’il a un tempérament moqueur ce docteur Bastard qui lui a servi de modèle. Le sculpteur l’a découvert, un jour, attablé à la terrasse du café Glacier, sur le Planol.


C’est l’homme qu’il me faut ! s’était-il exclamé.
Il ne savait pas que sous ce visage faunesque – et Injalbert était connaisseur en cette matière- se cachait un tempérament truculent et farceur, toujours prêt à moquer. Un vrai « machou » comme on appelle ici ceux qui ont la plaisanterie facile et souvent un peu grasse. Au café ou au grangeot, le dimanche, où l’on festoyait en vidant force bouteilles, on l’invitait à raconter ces bonnes histoires dont on ne se lassait jamais.
Celle de Pepita, le caraque tondeur de chiens , qui courait la ville et les villages des alentours, le ciseau à la main -« Clic ! Clic ! »-et qui, pout achever son travail, exigeait toujours quelques sous supplémentaires.. et un litre de vin !
Ou encore celle de ce diable de Merlou, voleur de fruits, qui pour échapper à la vindicte de Cascabeu, le garde champêtre, usait d »artifice en affirmant avec insolence sa liberté.
-Yoyez, voyez donc je ne fais rien de mal répond-t-il au garde champêtre qui le surprend sous un pêcher dont il dérobait les fruits. (Ils les goutait d’abord, en prenant son temps, avant d’emporter les derniers, car il avait pour principe que celui qui labourait pour le patron avait droit aux fruits de son travail).
-Je vous tiens cette fois et je vous ferai porter les culottes à Béziers ! exulte notre Cascabeu, triomphant comme un braconnier qui aurait pris un sanglier au lacet.
monumentmoliere-dosMais sans se démonter, Merlou, qui fait mine de remonter son pantalon, ajoute :
Ce que je fais, chacun le fait comme moi, et se dém….. dégage l’abdomen et conserve le teint frais, en montrant du doigt… les quelques crotins qu’un bourricot avait abandonné sur la place.
-Mais vous me prenez pour un imbécile, s’écrie le garde, excédé. Ce que vous me montrez, ce sont des crottins d’âne !
-Et alors, réplique Merlou, avec insolence, ne sommes nous pas en république ? Chacun a bien le droit de ch…comme il veut, les uns un peu plus dur, les autres un peu plus mou. Et tout garde que vous soyez, même si vous étiez Saint Blaise, vous ne pouvez m’empêcher de ch… comme un âne !
Tout ceci dit avec force gestes à l’appui et dans cette langue truculente qu’est celle d ’oc, que notre docteur employait couramment dans ses consultations. C’était un bon médecin, pas fier, et adoré par tous, en particulier par les petits gens sans le sou, qui savaient si bien user et parfois abuser de sa générosité. Pour eux, c’était toujours gratuit. Quant aux bourgeois impécunieux, il les soulageait de leur dette en emportant quelque meuble ou quelque faïence de style – çà peut toujours servir à meubler un musée!- car il était fin connaisseur en ces matières.
-C’est à moi que devait revenir ce rôle -! entend-on tout à coup d ‘une voix assourdie qui venait de l’arrière du monument. Frappés dans le marbre par le ciseau du maître, Coquelin cadet et Melle Ludwig, pensionnaires du Théâtre français, étaient en grande conversation.
-Mais, mon doux ami, ne le prenez pas sur ce ton. Alliès n’est pour rien dans le choix d’ Injalbert. Certes il vous l’avait promis, mais c’est Injalbert qui a décidé, seul !
-Peut être, mais ce rôle devait me revenir. J’ai tant fait pour que la souscription réussisse que je méritai sans aucun doute d’avoir cette satisfaction. D’ailleurs je vais réclamer que l’on me restitue le don que j’ai fait.
-Allons, mon ami, calmez vous, Molière pourrait vous entendre. Il ne faut pas mettre le patron en colère. Vous savez, il est haut et il n’ a pas de jambes. Il pourrait faire une chute et se fracasser sur le sol. (Claude Alberge)