Bédarrides Israël
Israël Bédarrides
SUR LES TRACES DU PATRIMOINE JUIF DE PEZENAS (Hérault)
Dimanche 2 Juin 2013
Claude Alberge et les responsables des Amis de Pézenas ont fait bénéficier l’Association Montpelliéraine pour un Judaïsme Humaniste et Laïque (AMJHL) d’une visite du quartier juif de Pézenas (Rue de la Juiverie et rue des Litanies)
A l’initiative de René Loubet une plaque a été apposée sur la tombe d’Israél Bedarride ( 1798-1869) bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Montpellier
Israël Bédarride (1798, Pézenas.1869, Montpellier)
Cette terre, appelée communément « cimetière juif » fut-elle acquise par les Bédarride ou correspond-t-elle au cimetière du Moyen Age, époque pendant laquelle une importante communauté juive était fixée à Pézenas ?
Sur les 5 tombes qui ont été réhabilitées par René Loubet et Pierre Richez, trois ont été reconnues, celles d’Israël, de son épouse, née Avigdor et de leur fils Alfred Gabriel.
Un descendant des Juifs du pape.
Comme le veut la tradition dans le milieu des juifs comtadins, sa famille a emprunté son nom à Bédarrides, petite ville du Vaucluse, dont elle est originaire.
Réfugiés dans le Comtat Venaissin à la suite des persécutions dont ils étaient l’objet dans la France chrétienne et longtemps cantonnés dans les carrières ghettos, les juifs du pape ont amorcé une une nouvelle diaspora au XVIIIe siècle, à la faveur de la propagation de l’idée de tolérance et du développement des affaires. Ils sont marchands d’étoffes, de vieux chiffons, de merceries de toutes sortes et d’animaux de trait et de bât : chevaux, ânes, mules et mulets aux foires de Beaucaire et de Pézenas-Montagnac, les plus importantes de ces rencontres annuelles de marchands, qui perdurent depuis le XIVe siècle.
A partir des années 1750, ils se fixent peu à peu dans les villes marchandes de la Provence et du Languedoc. Nïmes et Montpellier abritent les communautés les plus importantes, avec respectivement 370 et 160 ressortissants, surtout après la Révolution de 1789, qui a accéléré le mouvement.
En 1808, Béziers ne compte que 22 habitants de confession israëlite, Pézenas 20. Dans cette dernière ville, les Bédarride, originaires de Lisle en Vaucluse (Lisle sur Sorgue) voisinent avec les Roquemartine qui viennent dr’Avignon.. Le 20 pluviose an IX, Iassua Bédarride, âgé de 34 ans, établi à Pézenas depuis une vingtaine d’années(sic) demande l’autorisation de se rendre à Nîmes pour ses affaires.
L’année suivante, deux autres Bédarride, Mardochée Isaac et Samuel, âgés respectivement de 17 et 16 ans, sont présents en qualité de commis marchands à la foire de Beaucaire.
Encore mal connu, le milieu parait relativement aisé. Doté d’une intelligence, semble-t-il précoce, Israël, son baccalauréat en poche, « monte », à 14 ans, à Paris. A 21 ans, le voilà inscrit au barreau comme avocat stagiaire. Il fréquente les esprits avancés de son temps : le chansonnier Béranger, auquel il rend visite dans sa cellule de la prison Sainte Pélagie, Casimir Périer, le général Foy, Benjamin Constant, sans oublier son ami Adolphe Isaac Crémieux, son aîné de deux ans, venu comme lui du Midi puisque sa famille, elle aussi originaire du Comtat, s’est établie à Nîmes.
En 1823, il présente devant l’Institut, qui a ouvert un concours, un mémoire sur la condition des Juifs au moyen Age. Pour quelles raisons demande-t-il, l’année suivante, son inscription au barreau de Montpellier? Il fera carrière en province où lui parviendront les échos des journées de Juillet 1830.
La Révolution de 1830 et l’avènement de Louis Philippe éveillent en lui l’espoir d’une émancipation prochaine des Juifs.
Deux questions préoccupent alors la communauté à laquelle il appartient : la situation d ’infériorité dans laquelle ces derniers sont tenus en raison de leur foi et la pratique discriminatoire du serment « more judaico ».
Dans l’une des lettres qu’il lui adresse, Benjamin Constant le rassure sur l’article 6 de la nouvelle charte constitutionnelle, qui vient d’être votée par la nouvelle assemblée.
Sa rédaction,si elle ne reconnaît pas officiellement la religion d’Israël, laisse la porte ouverte au débat. D’ailleurs, la loi de 1831 confirme bientôt l’égalité des religions en accordant un traitement aux rabbins sur le même pied qu’aux pasteurs et prêtres des églises chrétiennes.
Mais il faudra des années de plaidoiries et de correspondances à Adolphe Isaac Crémieux pour que l’obligation faite aux citoyens de confession hébraïque de prêter serment devant leurs autorités religieuses, le « more judaico » encore en vigueur dans les tribunaux des régions de l’Est, soit enfin supprimée.
Tenté par la carrière politique
C’est alors qu’Israël Bédarride fait le choix de son lieu de naissance pour s’engager dans la vie politique : la quatrième circonscription électorale de Pézenas, qui vient d’être créée par le nouveau régime. A la différence de ses amis parisiens, il ne fait pas profession d’idées républicaines.
Il se déclare libéral, partisan du « mouvement » que les autorités gouvernementales ne redoutent pas. L’administration préfectorale en fait- même son candidat officiel aux élections partielles de février 1834 , destinées à remplacer le capitaine Reboul Coste , élu en juillet 1831 par les libéraux. Mécontent de la mainmise des conservateurs sur les ministères, ce dernier a démissionné.
Les familles influentes de la ville, les Coste, Reboul et Mazel se mobilisent en sa faveur contre Eugène de Grasset, le riche propriétaire, candidat du parti légitimiste »
Mais voilà qu’à la veille de l’élection, sans avoir fait campagne, se présente le docteur Haguenot, rejeton d’une illustre famille de professeurs à la faculté de médecine de Montpellier, largement possession-né en terres dans la basse vallée de l’Hérault.
En raison d’une trop faible participation : 211 votants sur 650 inscrits -les légitimistes ont boudé la consultation- les résultats du premier tour sont invalidés. Au 17 février, à l’issue d’un troisième tour, Haguenot est élu.
Dans son journal « La revue hebdomadaire », Henri Reboul se console de l’échec de son favori, « ce jeune avocat de Montpellier exerçant avec succès sa profession,; quoique de race et de religion israélite » battu par un jeune médecin, non exerçant, vivant de ses rentes (3)
Toux deux ont sensiblement le même âge -le premier est né en 1798 et le second en 1797- et appartiennent à cette générfation , chez laquelle la Révolution de 1830 fait lever bien des espoirs. Malgré l’échec, Reboul se réjouit de la progression des voix obtenues par son candidat entre les deux tours.
Après tout, il n’ a manqué la majorité que de 39 voix !
Il écrit dans son journal « La revue hebdomadaire » : « c’est un progrès philosophique bien notable, un grand effort de raison que de ne pas mêler la religion à toutes les affaires. Une chambre des députés n’est pas un concile. Quel est d’ailleurs ce chrétien éclairé qui ne serait pas pénétré de vénération pour cette nation juive, la plus ancienne de toutes celles qui sont en Europe, la plus persévérante dans ses doctrines et dans sa nationalité ? Sous le rapport même religieux peut on oublier cette belle image de Montesquieu nous montrant la petite tige hébraïque d’où sortent les deux branches qui couvrent maintenant l’univers de leur ombre, le christianisme et le mahométisme. »
Mais le conseiller général Puech ne s’y trompe pas : ce sont les légitimistes du candidat Grasset, qui , pour empêcher un Israélite d’accéder au Palais Bourbon, ont voté pour le nouveau candidat gouvernemental.
Quand à Israël, il déclare : « Quelques uns, parmi lesquels je me suis trouvé moi même, ont rencontré dans le préjugé religieux une barrière qu’il ne leur a pas été donné de franchir…
On a pu voir à cette occasion, au scrutin de ballottage, des bulletins nommant un des candidats, parce qu’il n’était pas juif, excluant l’autre parce que juif. »
Dans le combat pour l’égalité des droits, qui fut celui de toute son existence, Israël tiendra d’ailleurs longtemps rigueur au préfet Floret d’avoir déclaré à l’occasion de cette première joute électorale que « le préjugé religieux était un obstacle insurmontable à son élection (Lettre du sous-préfet au préfet du 30 octobre 1837).
Quelques mois après, aux élections générales de juin, bien qu’appuyé une nouvelle fois par le gouvernement, il n’ a pas plus de succès. Face aux constitutionnels divisés, c’est, cette fois, le candidat légitimiste de Grasset qui est élu.
Trois ans passent et, en 1837, Haguenot remporte de nouvelles élections, dès le premier tour, contre ses deux adversaires : le candidat carliste, de Jacomet, un riche propriétaire de Bessan et Bédarride, représentant de la Gauche dynastique, qui s’étaient accordés sur une alliance en cas de second tour.
Devant ce nouvel échec, Israël décide alors de se retirer de la vie politique, abandonnant le leadership de la représentation de la Gauche à André de Carrion-Nizas, le fils du tribun.
Mais, dix ans plus tard, il est rappelé par ses concitoyens, préoccupés par le tracé de la nouvelle voie ferrée, qui doit relier Marseille à Bordeaux. Passera-t-elle par Agde ou par Pézenas?.
La querelle du tracé fait rage. On sait que Bédarride entretient des relations privilégiées avec les Rotschild, principaux actionnaires de la Compagnie des chemins de fer du Midi, qui a reçu la concession de cette construction .
En juin 1845, il est donc envoyé en mission à Paris auprès du gouvernement, des chambres et des compagnies de chemins de fer. Au printemps de l’année suivante, il participe encore à une nouvelle délégation de notables conduite par le maire de Pézenas Félix de Juvenel.
Le marquis des Grasset, pourtant champîon de la fidélité aux Borbons, lui donne même son appui lorsque, aux élections législatives d’août 1846, il devient le candidat de la ville contre deux autres candidats étrangers au pays : Edmond Teisserenc, un Polytechnicien, qui a la réputation d’être « un spécialiste du chemin de fer » et un banquier véreux, du nom d’Ardoin, bien décidé à acheter les électeurs.
Mais si Bédarride arrive largement en tête au premier tour, avec 217 voix sur 560, au second, il ne parvient à augmenter ses résultats que de 17 voix. Ses adversaires ont fait bloc sur le nom de Teisserenc.
Son échec est celui de la ville dont il portait les espoirs. Les dés sont jetés. Le chemin de fer ne passera pas par Pézenas qui entre alors dans l’opposition républicaine.
Israël ne suivra pas ses concitoyens dans cette voie, à la différence de Carrion-Nizas et de Reboul-Coste, qui seront élus députés de la Seconde République.
Il ne suivra pas non plus ses jeunes collègues du barreau, tel Eugène Lisbonne, qui, au lendemain du coup d’État du 2 décembre, seront jetés en prison avant d’être exilés ou assignés à résidence pour s’être opposés à la marche vers l’Empire de Louis Napoléon Bonaparte. Au 4 septembre 1870, Lisbonne sera préfet de l’Hérault, avant de faire une brillante carrière politique. Mais Bédarride est mort depuis quelques mois. Il ne connaîtra pas la république.
Un brillant avocat d’affaires
Abandonnant les joutes électorales, il s’adonne alors pleinement à ses activités professionnelles, en devenant l’un des avocats d’affaires les plus prisés du département. Premier avocat d’origine israélite au barreau de Montpellier, il a ses entrées dans le salons de la ville.
Dans leur notice nécrologique, ses condisciples : Julien Félix, conseiller à la Cour impériale de Rouen, l’avocat Eugène Lisbonne et Henri Delpech, docteur en droit, soulignent moins ses qualités d’orateur que de débatteur. Il semble que son visage , affecté par une légère infirmité, prenne souvent un air mélancolique. Mais avec quelle fougue ne se dresse-t-il pas pour décocher un argument décisif avant la fin de sa plaidoirie.
« Cà se plaide !» ne manque-t-il pas de répéter aux étudiants dont il dirige les travaux. Il est à la fois redoutable et redouté à la barre, remarque son disciple Lisbonne. L’âge avançant, atteint par la surdité dès soixante ans, il doit espacer ses interventions, abandonnant la place à son fils Alfred Gabriel, né en 1830, qui sera par ailleurs élu maire de Villeveyrac en 1860 et conseiller d’arrondissement du 3e canton de Montpellier de 1861 à 1867.
Il peut se consacrer plus longtemps à ses études et regroupe dans un ouvrage intitulé « Études sur la législation » les communications que, sa vie durant, il avait faites à la « Revue judiciaire du Midi ». Les unes sont relatives aux affaires, comme le prêt à intérêt, les marchés et les jeux de bourse, le droit commercial dans ses rapports avec le droit civil : le contrat de mariage et le régime dotal, la transmission des biens par succession et la liberté testamentaire, la capacité de disposer et l’incapacité de recevoir, d’autres enfin au droit constitutionnel : la théorie des lois, le caractère constitutif des lois, etc.
« Les longs ouvrages me font peur », écrivait-il à Lisbonne, ajoutant : « Mon cousin d’Aix, qui a enrichi le droit de bientôt vingt volumes (avocat au barreau d’Aix-en-Provence, celui-ci publiera un « Traité de droit commercial » qui fera autorité) me reproche aussi de ne pas entreprendre de plus grand labeur ; je lui réponds : dis à une abeille de bâtir une maison, elle te dira : je butine sur les fleurs. Ainsi je suis, je ne suis pas ou, je ne suis plus propre à autre chose. C’est ainsi que « fugaces labuntur anni. »
Ses qualités de juriste seront consacrées lorsque, le 28 novembre 1839, il sera élu, pour la première fois, bâtonnier de l’ordre au barreau de Montpellier.
La judéité du cœur
L’histoire, la littérature, la philosophie, la théologie le passionnent tout autant que le droit. Toute sa vie il sera habité par les recherches que, jeune avocat, il menait pour présenter son mémoire devant l’Institut sur la condition des juifs au Moyen Age.
Trente-six ans après, il reprend ce premier travail pour l’enrichir et publie un ouvrage sur « Les Juifs en France, en Italie et en Espagne ».
Le président du Tribunal civil de Montpellier, le professeur Grasset, en fait l’éloge dans le quotidien « Le Messager du Midi » du 2 octobre 1859. C’est un travail historique, avec deux cents pages de notes, où théologie et dogme n’ont pas leur place. « Il y a du bénéfice dans ce travail d’un Israélite » conclut-il, en félicitant son collègue « d’instruire ainsi devant le tribunal de l’opinion publique le grand procès de réhabilitation du peuple juif. ».
Cet ouvrage connaîtra trois éditions ety sera diffusé en plusieurs langues.
Il faut démythifier la religion d’Israël, débarrasser la mémoire collective de tous les préjugés accumulés depuis des siècles sur la nation « déicide ». Dans « Le guide des égarés », Bédarride est un des premiers à découvrir Maîmonide, ce juif du XIIe siècle, apôtre de la tolérance et du libre arbitre, persécuté par les Musulmans, qui ne dut son salut qu’à son exil de Cordoue au Caire. Il faudra attendre plus de trente ans avant que Munk ne traduise ses œuvres en français.
Toujours pour développer la connaissance de la religion d’Israël, Bédarride publie « le Talmud », en 150 pages, « la plus colossale compilation de la législation civile, criminelle, rurale et administrative d’Israël », comme le qualifie Delpech.
Les adeptes de la religion d’Israël croient aussi en l’immortalité de l ‘âme. Le pardon et la charité font partie de leurs vertus. Enfin, ils ne sont pas exclusifs ; la liberté de conscience est le bien le plus précieux des hommes.
Un combat pour l’homme
Le combat pour la judéité est un combat pour l’homme, qui fait progresser les idées de liberté et d’égalité inscrites dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : art 10 : « nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses »
pezenastombebedarrideIsraël Bédarride fut le témoin et l’artisan de ce mouvement d’émancipation du peuple juif, longtemps victime de discriminations, accéléré par la Révolution de 1789 et poursuivi, à travers l’Empire et les chartes constitutionnelles de 1814 et de 1830, pendant la première moitié du XIXe siècle.
Avec Adolphe Crémieux, son aîné de deux ans, qui devait devenir le ministre de la Justice du Gouvernement provisoire de la Seconde République et du gouvernement de 1870-1871, et Eugène Lisbonne, son cadet de vingt ans, son compatriote et disciple, qui devait être élu député puis sénateur de la Troisième, il combattit pour que les Français de confession israélite soient reconnus comme citoyens à part entière.
Mais ce combat pour l’égalité des confessions et la liberté de conscience, il ne le mena pas seulement pour eux, mais pour l’homme.
Il fut enfin un précurseur en posant des questions qui restent d’actualité, comme la torture, la peine de mot -dont il était un farouche adversaire- et les droits des femmes.
Rien ne paraissait insurmontable à cet humaniste optimiste dont la vaste culture et expérience conduisaient à l’humilité.
« Ça se plaide ! » aimait-il répondre à ceux qui avaient pensé trouver une solution définitive.
La communauté israélite de Montpellier ne disposant ni de synagogue, ni de cimetière, Israël Bédarride fut inhumé auprès de son épouse, née Avigdor, dans une terre dont sa famille était propriétaire au tènement de l’Estang, à Pézenas.
Claude Alberge – Extrait de Histoire de Pézenas par les rues et les places. Editions de la Tour Gile, pages 421 à 428