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Histoire – Mémoire

Le combat pour la liberté en Languedoc 

« Resistance in World War 2 »

par Graham Luck

( traduction Francis Médina)

 article paru in extenso dans le Bulletin ADP Mars 2023 N°104 p 10-17

 

Pour écrire son livre sur ce sujet quinl’intéressait, Graham Luck a parcouru le département de l’Hérault en prenant appui sur les stèles placées, là au bord d’une route, ailleurs dans un mémorial témoignant de la résistance à l’occupant. Grace à ses observations replacées dans leur contexte géographique et historique, il a fait revivre ces petits groupes qui ont aidé à ce combat pour la liberté au risque de se perdre. Choisis par lui, de larges extraits de son étude que nous avons traduits, sont présentés ici.

La défaite de la France marque le début
du gouvernement de Vichy

En septembre 1939, l’invasion allemande de la Pologne provoqua la déclaration de guerre de la Grande Bretagne et de la France à l’Allemagne. En mai 1940, l’offensive allemande à travers la forêt des Ardennes surprit les forces alliées complètement dépassées. La chute de Paris le 14 juin, fut suivie par l’Armistice du 22 juin 1940. La victoire de l’Allemagne provoqua la coupure effective de la France en deux zones. Le Nord et toute la façade Atlantique furent placés sous le contrôle militaire Nazi…et constituèrent la « France occupée ». Le Sud et la façade maritime méditerranéenne furent autorisés à rester sous contrôle français sous la présidence du Maréchal Pétain, héros de la 1ère guerre mondiale. Le gouvernement était installé dans la célèbre ville thermale de Vichy, parce qu’elle possédait un nombre important de grands hôtels permettant de loger toute l’administration du « Régime de Vichy ».
Pétain fit la promotion des valeurs traditionnelles, de la famille et des vertus du travail bien fait. Il voulait revenir vers un mode de vie plus conservateur par l’interdiction du divorce, de l’avortement et la censure sévère de la presse. Les appels téléphoniques contrôlés et la critique du gouvernement pouvaient conduire à l’emprisonnement. Pour mener à bien sa politique, le régime de Vichy créa sa propre police « la milice » qui opérait parallèlement mais séparément des forces traditionnelles de la gendarmerie…./…

La France de Vichy
sous l’Occupation allemande

À partir de 1942, la résistance ouverte au régime de Vichy n’avait cessé de croître. Il s’était formé un certain nombre de groupes de résistance assez disparates. Ils opéraient tous de manière indépendante et ne coopéraient pas ou peu entre eux. Dans la zone sud de Vichy, ils étaient connus sous le nom de maquis, d’après le mot italien « macchia », utilisé en Corse pour décrire les broussailles et les forêts touffues.

« Bir Hakeim » à Douch fut l’un des groupes de maquis les plus actifs en Languedoc à cette époque. Basé dans la haute vallée de l’Orb, son nom rappelait la résistance héroïque de l’Armée Française Libre du général Koenig en Afrique du Nord en 1942, dans le cadre de la défense de Tobrouk contre les forces de Rommel. En général, pour éviter d’être repérés, les maquis changeaient régulièrement de base.

En septembre 1942, celui-ci s’installa dans le village isolé de Douch sur le plateau du Caroux. Ses membres organisaient une liaison discrète avec les habitants de St-Gervais-sur- Mare et favorisaient ainsi l’afflux de recrues. La Gestapo fut finalement informée de la présence du maquis à Douch. Les Allemands effectuant une reconnaissance sur les routes de l’Espinouse mirent au point un plan d’attaque
contre « Bir Hakeim ».

Le 10 septembre 1943, à l’aube, une importante force de 200 allemands franchit les gorges d’Héric malgré d’énormes difficultés. Le mauvais temps et les problèmes de terrain ralentirent la progression des assaillants. De sérieux échanges de tirs éclatèrent autour de Douch et une quarantaine de maquisards réussirent à s’échapper dans la brume. L’attaque fit deux morts parmi les maquisards et quatre autres furent capturés puis exécutés à Toulouse. Pour leur part, les pertes allemandes s’élevèrent à huit tués et douze blessés. Le lendemain, M. Soureil, maire de St- Gervais, fit descendre les corps des jeunes hommes tués au combat. La chapelle Notre- Dame de Lorette à St Gervais-sur-Mare fut transformée en chapelle ardente. Les habitants des communes minières environnantes défilèrent solennellement devant les cercueils, et les funérailles provoquèrent un large sentiment de fierté nationale. De Gaulle évoquera plus tard ce combat dans ses mémoires, comme ayant « envoyé un signal » à la nation. Sa citation est inscrite sur le mémorial et la stèle à l’extérieur de l’église de Douch. En 2016, un nouveau mémorial honorant « Bir Hakeim » fut érigé à proximité.

Vers le Jour J

Après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord en novembre 1942, Hitler ordonna la construction du « mur de la Méditerranée », avec des fortifications similaires à celles déjà construites le long de la côte atlantique. Plus de 900 bunkers dont une centaine pour la région d’Agde furent construits par l’organisation Todt.

La vaste plage de la Tamarassière près du Grau d’Agde était considérée par les Allemands comme une cible potentielle. Ils entreprirent de la renforcer avec un ensemble de bunkers en béton. Amenée dans la région pour effectuer les travaux, la main-d’oeuvre fut logée dans un camp d’une capacité de 800 personnes construit à cet effet à la périphérie du Grau d’Agde à côté de la chapelle Notre-Dame de l’Agenouillade.
De nombreux blockhaus ont survécu à ce jour, y compris un hôpital de campagne aujourd’hui restauré en musée.

Au début de 1944, la Seconde Guerre mondiale semblait entrer dans une nouvelle phase. Avec de terribles pertes de part et d’autre, la défaite des Allemands à Stalingrad en janvier 1943, avait montré qu’ils n’étaient pas invincibles.

Fait aussi important pour le sort de la France, après leur débarquement les Alliés avaient traversé l’Afrique du Nord. Dans ces opérations l’Armée Française Libre jouait un rôle important. Les Alliés débarquèrent en Sicile en juillet 1943 et avançaient à travers l’Italie dès janvier 1944. L’opportunité d’une attaque pour libérer la France se profilait désormais.

C’est durant cette période que les groupes de résistance français furent appelés à harceler l’ennemi et à saboter les infrastructures pour entraver le déploiement des forces allemandes. Cela a inévitablement amené les maquis dans un conflit plus ouvert avec elles. Dans les bassins houillers et les carrières autour de la vallée de l’Orb, les attaques se concentrèrent sur les voies ferrées (les tunnels furent fréquemment visés), le réseau de distribution électrique (les pylônes sont vulnérables) et les mines (équipements électriques et miniers). En mai 1944, les attaques devinrent plus audacieuses et plus fréquentes, comme ce fut le cas avec l’assassinat, dans son bureau, du chef de la milice à Lodève.

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Débarquement allié en Provence et conséquences

Le débarquement débuta le matin du 15 août le long des côtes de Provence à partir d’une flotille de 1200 navires de la Western Naval Task Force. Protégée par l’obscurité, elle s’ approcha de la côte pour être en position à l’aube. Sous commandement américain, les navires venaient d’Algérie, de Sicile, de Sardaigne et de Corse. Les débarquements eurent lieu avec succès entre Toulon et Cannes (Cavalaire-sur-Mer, Saint-Tropez, Saint- Raphaël…).

Le 17 août, Hitler donna l’ordre d’un retrait général du sud et du sud-ouest de la France. Les troupes allemandes du sud-ouest partirent en colonnes composées d’un mélange de véhicules (camions, charrettes, vélos et même de soldats à pied). Ces colonnes isolées, au moral bas, harcelées par l’aviation alliée et les maquis, se montrèrent tour à tour résignées ou impitoyables.

Pendant ce temps, les forces aériennes alliées profitaient de leur présence croissante dans le ciel pour attaquer les troupes allemandes et l’infrastructure ferroviaire. Les paragraphes suivants décrivent des événements dramatiques et sont tirés de récits de témoins occulaires. Un évènement se produisit à la périphérie de Pézenas, il a été raconté plus tard par Emile Lamouroux membre du « Comité Local de Libération » à Tourbes :

« Le 18 août 1944, dans l’après-midi, j’étais dans le champ dit de La Baptiste et j’ai vu les avions alliés (au moins trois) mitrailler un convoi allemand qui roulait sur la RN9 en direction de Montpellier. Les avions tiraient droit sur la route, retournaient sur le terrain dit de Laval, et à chaque passage, les camions prenaient feu. Après environ une heure de calme, un seul avion a survolé la RN9 à bassealtitude sans doute pour évaluer les dégâts. Puis j’ai entendu le bruit d’un autre vol, qui semblait venir de l’embranchement de Nézignanl’Evêque.

L’avion semblait avoir été touché alors qu’il tentait de prendre de la hauteur par àcoups. De la fumée noire est sortie du fuselage et l’avion s’est dirigé vers Conas, perdant de la hauteur à mesure que les flammes augmentaient. Lorsque l’avion était près du sol, j’ai vu le pilote sauter. J’appris plus tard que la première personne sur les lieux était un habitant de Tourbes de vingt-deux ans. Il avait ouvert la veste du pilote mort et pris des documents et de l’argent en plusieurs devises qu’il a remis au chef de la résistance locale. La carte trouvée sur le site montrait la RN9 et la 113 soulignées en rouge. »
Harold Kline était ce pilote américain. Il pilotait un Lockheed P38 Lightning chasseur bombardier à longue portée. A Pézenas, après diverses négociations avec la Kommandantur, d’imposantes funérailles lui furent organisées en présence discrète de maquisards. « On m’a raconté que lorsque son cortège funèbre est
passé devant le Café des Variétés, trois soldats allemands assis se sont levés et mis au garde-àvous
au passage du cercueil ». L’imposant cortège s’engagea sur le cours Molière (Cours Jean-Jaurès) et la rue Anatole France pour aller vers le cimetière. Kline a été temporairement enterré dans la tombe d’une famille de Pézenas. En 2019, un mémorial permanent a été érigé sur le site de l’accident.

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Libération

Le 22 août, les derniers convois de troupes allemandes quittaient le Languedoc et passaient
le Rhône. Ce mouvement de repli se déroulait sur une grande partie de la France. Et Paris fut libérée le 25 août après une semaine de durs combats de rue.
De nombreuses petites villes et villages du sud de la France avaient été relativement épargnés par la guerre et l’occupation. Pézenas en était un exemple.

Mais le 22 août 1944, malgré la retraite allemande, il restait à la gare du Midi, 2 wagons de marchandises contenant 30 tonnes d’explosifs. Les Allemands avaient prévu de lesfaire exploser. Craignant une explosion trop violente pouvant causer des dommages importants à la cave coopérative voisine et aux vendanges sur le point de commencer, les habitants prirent l’initiative de laisser brûler la poudre à l’air libre en l’étendant sur une surface aussi large que possible devant la Coopérative entre la voie ferrée et la Route Nationale. La police et les pompiers furent alors alertés, et un groupe de 50 volontaires (dont des résistants) étalèrent les granulés sur une grande surface avec une épaisseur d’environ 10 à 20 cm. Ainsi, une trainée d’environ 10 m de long pouvait être allumée à distance. Mais soudain, le feu éclata dégageant une chaleur et une lumière intenses. Les structures en bois prirent feu. Par contre, la cave ne fut pas endommagée. Au cimetière, les pompiers s’affairèrent à éteindre un petit feu. Les feuilles des platanes le long de la Route Nationale, et au-delà, celles des vignes en direction de Castelnau-de-Guers, finirent calcinées. L’hôpital de la ville soigna des dizaines de personnes pour des brûlures, sept graves comme celles d’un pompier avec le dos brûlé. Malgré cette dangereuse explosion, la guerre se terminait enfin pour Pézenas, et en quelques jours la ville fut officiellement « libérée ».

 

L’arrivée triomphale d’un convoi armé de résistants du Maquis d’Armagnac fut fêtée par la population locale. Montpellier fut libérée le 25 août et Béziers le 26 août. Il ne fait aucun doute que le mouvement de Résistance ait pu jouer en 1944 un rôle majeur dans la Libération de la France.
A partir des débarquements alliés en France, les Allemands ont eu de plus en plus de mal à se déplacer librement. La bravoure et l’abnégation des résistants ont infligé des retards et des pertes à leurs forces, ce qui a contribué à sauver la vie de nombreux soldats alliés. Le général Eisenhower estima plus tard que la valeur de la Résistance équivalait à 10 à 15 divisions.

Graham Luck