Sélectionner une page

Les Norias

Les Norias tournaient, tournaient, et l’eau coulait pour arroser les jardins piscénois…..

Francis Medina  d’après les travaux d’Alain Baudière

paru dans l’AMI DE PEZENAS N°47 de septembre 2008

 

« Tous les jardins maraîchers sont, sans exception, arrosés avec l’eau que l’on élève de l’intérieur de la terre, au moyen de puits à roues ou à noria, et qui, après avoir été versée par les godets ou vases de terre cuite de ces machines dans une grande pile, se rend par des rigoles à pente insensible sur toutes les planches où l’on désire l’amener.. »

Ces quelques lignes sont extraites du paragraphe « Arrosage » d’un livre publié en 1843.

Elles témoignaient déjà de l’intérêt porté à la présence et à l’utilisation de certaines machines hydrauliques dans la campagne piscénoise.

Le paysage a certes changé depuis. D’abord la vigne a remplacé par endroit les jardins de cette ceinture verte qui se développait au Nord, au Nord-est et au Sud-est de la butte du château. Ensuite l’urbanisation a grignoté ces espaces traversés par des cours d’eau capricieux : Peyne, Tartuguier…Des grangeots témoins de l’activité agricole de cette périphérie, ponctuent encore ici ou là, les parcelles transformées.
Plus difficiles à repérer et à observer sont les norias souvent abandonnées parce que concurrencées depuis plusieurs décades par les pompes à moteur installées sur les puits.
Dès lors, elles n’ont plus été entretenues et le plus souvent démantelées, parce que rongées par la rouille et l’usure du temps.
Alain Baudière, fils et petit-fils de jardinier, s’est passionné pour ces machines, éléments non négligeables du patrimoine paysager périurbain piscénois. Il les a répertoriées, étudiées et cartographiées.

Quarante sept puits furent creusés pour atteindre la nappe phréatique située à une faible profondeur dans certaines zones.

Ainsi, du côté de la route de Roujan, de Nizas, du « Faubourg des Cordeliers », des « Calquières hautes et basses » et du « Bois de la ville », l’eau est entre 1,50m et 2m de la surface en période de sécheresse. Nous sommes à proximité du lit de Peyne et pas très loin de celui de l’Hérault. On retrouve une nappe un peu plus profonde près du chemin de l’Amandier, vers Conas et la route de Béziers. Ainsi une ceinture verte de jardins a enveloppé la ville en profitant de l’eau qu’il fallait bien sûr extraire au moyen de techniques appropriées. C’est là que des savoir-faire ancestraux ont pu se manifester. Parfois en rajoutant des matériaux nouveaux, des mécanismes de bois expérimentés dans le Bassin Méditerranéen depuis l’Antiquité ont été améliorés au fil du temps. Déjà il fallait lutter contre le déficit hydraulique qui frisait souvent la semi- aridité quand arrivaient les étés chaud et secs. On connaît l’étonnant développement de ces plaines cultivées qui frangent les garrigues. Dès le Moyen Age, lors de l’extension de la civilisation arabo-islamique, des jardiniers experts ont savamment aménagés les « huertas » (jardins) espagnoles aux marges des collines et des montagnes sèches. Des fruits et des légumes en abondance pouvaient ainsi arriver sur les marchés et les foires pour nourrir une population croissante.
Partout et toujours, il a fallu élever l’eau jusqu’à lui permettre de se déverser dans le jardin proche.

Pour cela une grande variété de machines et de matériel a été utilisée.

Dans certaines régions des bords de la Méditerranée et même au-delà,jusqu’en Inde, la noria est souvent constituée d’une grande roue à ailettes installée sur un cours d’eau ou un canal et actionnée par le courant. Une série de godets fixés à cette roue élève et déverse alors l’eau dans un aqueduc associé qui la redistribue dans les champs cultivés. On trouve encore dans la région de Ganges, ces « meuses »qui alimentent, depuis la fin du XIXe siècle, les jardins maraîchers de Cazilhac par un merveilleux système de roues à aube branchées sur un canal.

Autour de Pézenas, les cours d’eau proches étant insuffisamment et irrégulièrement alimentés, l’eau ne pouvait venir que de la nappe phréatique. Des « puits à roues », « à poulies », des balanciers dits « pouzaranques », des norias à godets et autres « pompes à chapelets » ont permis de la remonter et d’irriguer les cultures qui ont longtemps fait la réputation des jardiniers piscénois.
Ainsi, il a existé plus de quarante machines jusque dans la première moitié du XIXe siècle. Les matériaux employés pour ces installations étaient plus ou moins périssables, mais certaines sont encore repérables dans quelques parcelles : constructions de pierres autour du puits, piles (réservoir réceptacle) en pierre, fragments de canalisations, pièces métalliques abandonnées à côté des pompes actuelles. Cinq norias sont à peu près complètes du côté des « Cordeliers « et des « Calquières » malgré les dégradations qui semblent hélas irrémédiables. Quoique incomplet aujourd’hui, un aqueduc souterrain reliant plusieurs puits existe encore au Nord, dans la zone du chemin de Chichery et Saint Christol. D’une hauteur d’un mètre cinquante et d’une largeur de cinquante centimètres, il est le témoin d’un véritable réseau hydraulique dont les parties visibles sont, ici la margelle d’un puits, là un regard qui servait au nettoyage, ailleurs les restes d’une noria qui élevait l’eau distribuée de façon souterraine.

Pour puiser cette eau si précieuse, deux systèmes différents et encore assez complets pour être étudiés, devaient être les plus fréquents : les puits à roue et le puits avec pompe à chapelet dit «noria Bonnaud » (croquis). Dans les deux cas le mécanisme était actionné par le déplacement circulaire d’un animal, cheval ou mule qui les yeux bandés entraînait l’ensemble.

Au Nord-est de la ville, Campagne Saint Jean, près de la route de Nizas, se trouve un puits de grande dimension (prof : 5,30m, larg.5, 90m sur 1,50 m) bâti comme souvent en pierre de taille et de forme rectangulaire. La grande roue à rayons et à godets (5m de diamètre), sur axe horizontal était mise en mouvement par une roue motrice dentée à axe vertical, elle-même actionnée par le déplacement de l’animal comme dans un manège. En dehors des axes et des paliers, le bois était le matériau principal de l’ensemble.
L’eau, prisonnière des godets remontait en surface jusqu’au niveau du déversoir qui la dirigeait ensuite vers les carrés cultivés grâce au portant d’eau ou portadou. Le débit certes variable en fonction de la vitesse de rotation de la roue et de la régularité de la traction de l’animal, pouvait aller jusqu’à environ 10 000 litres à l’heure sachant qu’un godet contenait de 5 à 15 litres pour les norias
L’eau à faible profondeur dans le puits et la roue de grande dimension pouvait assurer une production d’eau relativement importante (Croquis)

Pour l’entretien général du système : graissage des paliers pour éviter la rouille, nettoyage pour éliminer déchets végétaux et vase, une salle d’entretien permettait l’accès au puits.

A quelques pas de la route de Montpellier, dans l’impasse privée du Faubourg des Cordeliers, là même où se trouvaient les jardins du couvent autrefois, une machine différente (photo) existe encore sur la propriété de la famille Carlan.
La structure du puits avec une ouverture construite pour descendre et l’entretenir dans les parties souterraines rappelle l’exemple précédent. Présent ici aussi, le terre-plein circulaire de large diamètre évoque le déplacement de l’animal fournisseur d’énergie au mécanisme général. Quelques larges réservoirs agencés régulièrement autour d’un tambour qui les guide comme ailleurs les godets, sortent du sous-sol. Pendant des années, ils ont remonté l’eau pour la déverser en contrebas. Tout le réseau de distribution (pile, canalisation) peut être encore observé dans une petite construction qui fait la transition entre la noria et les quelques parcelles encore cultivées malgré l’urbanisation du quartier.
En fait, c’est à l’intérieur du puits (photo) que le mécanisme du « chapelet » de godets peut être observé malgré les dégradations liées à la rouille et à l’abandon de l’ensemble. Une chaîne sans fin descendait verticalement jusque dans l’eau .Les réceptacles, sortes de seaux fixés sur elle, puisaient l’eau et la remontaient en surface, puis ensuite s’inclinaient et la vidaient dans l’auge proche, avant de redescendre pour toujours recommencer.

Ainsi par l’installation de ces machines destinées à pallier les sécheresses chroniques, les maraîchers piscénois ont façonné à leur manière le paysage de cette périphérie urbaine.
L’eau était, et reste précieuse. Si les pompes à moteur ont décuplé le débit des norias, ces éléments du patrimoine rural n’en sont pas pour autant négligeables. Ils sont la trace d’une activité spécifique des hommes et des femmes d’ici, ils témoignent de leur inventivité et de l’adaptation des techniques ancestrales au milieu.
Alors pourquoi ne pas imaginer la restauration de l’un des systèmes pour rendre hommage à ceux qui, de génération en génération, ont fait vivre la ville avec la vente de leurs productions légumières et fruitières et avec les traditions sociales de leur confrérie.

Francis Medina
D’après les travaux d’Alain Baudière

Bibliographie
-Jardins et jardiniers du Midi. Claude Alberge et Alain Baudière 1998
-Mémoires d’agriculture d économie rurale et domestique publiés par la société royale et centrale d’agriculture. M.Maffre 1843
-Les irrigations. A.Ronna 1888